BILAN 1952
Le début de la saison 1952 a été bien mauvais pour les spéléos. La pluie a semblé pendant 5 mois prendre un malin plaisir a regarnir d'eau les réseaux souterrains toutes les fois que le niveau semblait vouloir diminuer. De janvier à mai, à part quelques travaux de désobstruction, et une chasse intensive et fructueuse aux insectes cavernicoles, l'activité du Spéléo-Club a été assez réduite.
En juin, tout changea, et la sécheresse, tout en nous faisant rouspéter à longueur de semaine contre les coupures d'eau, nous a permis au moins le dimanche de belles sorties et d'intéressantes explorations. La grotte des Foules a reçu, comme il se doit, notre visite à quatre reprises pour des explorations de longue durée, et il nous a été enfin possible de constater les effets de la crue du 11 novembre 1950 de fameuse mémoire. Dans certains couloirs habituellement asséchés, c'est un véritable mur d'eau qui a dû s'avancer, projetant aux voûtes et abandonnant sur des corniches hautes de 5 mètres des pierres de plus de 20 kilos, arrachées au sol, et décapitant impitoyablement de grosses stalagmites trapues. Pourtant les murailles ont tenu bon, et nous n'avons pas remarqué de changements notables dans la topographie, mais seulement une variation certaine du volume relatif des diverses branches du torrent et une baisse du niveau dans la galerie d'eau centrale. Si nous avons pu cet été parcourir à pied sec des couloirs autrefois inondés, en revanche, à chacun de nos passages, le petit torrent nous a gratifiés d'une douche inhabituelle aussi froide et abondante que gratuite.
En juillet, quatre hommes ont pu explorer les grands gouffres de Buclaloup et du Tombaret en forêt de Champfrommier, grâce à l'amabilité d'un de nos membres honoraires qui n'a pas craint, en l'occurrence, d'aventurer sa voiture dans des chemins réservés d'ordinaire aux charrois forestiers. Le fond du gouffre de Buclaloup a été atteint à 53 mètres de profondeur, et c'est une masse de vieille neige qui arrêta au Tombaret, la progression à 26 mètres sous terre. Ces deux gouffres ont été trouvés propres et exempts de bêtes crevées. Les optimistes y voient un effet de notre campagne contre le "tout au gouffre". Les pessimistes font remarquer que depuis le passage des S.S. il n'y a plus aux environs de Buclaloup que des pans de murs calcinés, et que le Tombaret est bien loin de toute habitation. Ce sont ces derniers qui pourraient avoir raison, car une reconnaissance à l'entrée du Grand Cernétrou a permis de constater par les traces laissées sur le chemin d'accès par les voitures, et celles laissées sur les parois du puits par… tout autre chose, que le gouffre avait encore tout récemment rempli son office de dépotoir et qu'après le virus de la morve en 1949, il avait en 1952 probablement ingurgité celui de la fièvre aphteuse. Avis aux éleveurs qui mènent leur bétail boire à la Semine ou au Tacon le charnier est en relation directe avec l'un de ces cours d'eau, probablement avec les deux à la fois.
Puis, tandis que deux hommes menaient à bien l'exploration de deux grottes à la Semine, une autre équipe de quatre spéléos terminait celle de la grotte de la Grusse, et de la rivière qui circule à la profondeur de 63 mètres sous l'entrée. Cette rivière se jette sans doute dans la Bienne puisque, de petites truites ont pu s'introduire dans les puits par un siphon interdit aux spéléos. L'eau est malheureusement impossible à exploiter, vu la profondeur de son cours, et la mauvaise consistance de la roche fissurée.
Une série de reconnaissances dans les réseaux du Cernois clôtura la période de sécheresse, et la pluie, en supprimant les coupures, libéra notre ami Nabot et permit de reprendre les travaux au fond du gouffre de Sièges. A la fin de la seconde journée, tout s'annonçait bien, et nous voyions déjà le passage forcé, quand une malencontreuse panne survenant à la voiture de notre ami de Sièges nous empêcha de remonter la semaine suivante et nous obligea à remettre à 1953 la continuation de l'exploration. Peut-être les crues d'automne auront-elles fait à notre place le travail de déblaiement projeté ; ce serait là une bien agréable surprise.
Puis ce fut le pluvieux mois d'octobre et la neige précoce de novembre qui mirent un terme aux grandes sorties, non sans toutefois qu'une dernière reconnaissance en forêt de La Pesse nous ait fait découvrir l'entrée d'un boyau qui pourrait bien faire partie du réseau inconnu du Grand Cernétrou.
La crue du 25 octobre a eu un résultat inattendu et appréciable. L'un de nous, en ballade dans le cirque des Foules, remarqua à 100 mètres à peine de l'entrée de la grotte et à la cote –18 environ une résurgence qui coulait à flots, et que personne encore n'avait signalé. L'eau sortait à gros bouillons entre les énormes blocs qui encombrent le lit de l'ancien torrent et une incursion immédiate dans la grotte prouva que ce jour là l'eau atteignait la cote –15. Cette résurgence ne doit couler que très rarement puisque les crues se stabilisent généralement à la cote –27. Elle n'avait pas été remarquée en 1950, son écoulement étant noyé dans la masse d'eau qui coulait de la grotte elle-même, et c'est une chance que ce phénomène passager ait eu un témoin sachant "de quoi il en retournait".
Sans nous préoccuper de la neige, nous nous sommes attaqués à l'éboulis sous lequel l'eau a laissé de multiples traces de son passage. D'après les plus modestes estimations, il faudra déplacer environ 10 tonnes d'éboulis avant d'espérer trouver la roche en place où doit exister une galerie importante. L'affaire en vaut la peine, car il n'y a pas dans la zone connue de la grotte des Foules de galeries susceptibles d'amener l'eau à cet endroit. Le passage de la résurgence pourrait donner accès au cours inconnu du torrent… si toutefois l'ouverture, une fois déblayée, n'est pas un laminoir bas et impénétrable entre deux strates. Mais l'espérance est une des vertus maîtresses des spéléos.