Situation
Lésine de Fontenu ou de Prévalot
Commune : FONTENU (Jura)
Lieu dit : Bois de Prévalot
Coordonnées Lambert 93 : x : 916,195 - y : 6621,710 - z : 635 m
Latitude/longitude : 46° 39' 39" - 05° 49' 41"
Descriptions du site
L'entrée de la lésine de Fontenu est protégée par une haute barrière métallique spécialement conçue pour éviter la chute des personnes ou du gibier. L'orifice d'1,5 à 2 m de diamètre s'ouvre directement sur un puits vertical de 37m. A sa base un cône d'éboulis s'étale de part et d'autre dans une haute galerie déclive. Vers le sud / est le couloir se termine rapidement, obstruée par une coulée stalagmitique. Au nord / ouest il est possible de progresser d'une petite centaine de mètres dans de hautes galeries concrétionnées entrecoupées de quelques passages bas. Un goulet impénétrable marque la fin de la cavité à 52 m sous la surface.
Circonstances de la découverte
Découverte effectuée le mercredi 13 novembre 2019 au cours d'une visite de routine doublée d'une séance d'initiation par cinq membres du Spéléo Club SanClaudien : Guillaume Ballet, Pierre-Jean Bareletta, Léa Coquelle, Dominique Guyétand et François Jacquier.
La plupart des gouffres jurassiens comportent des cônes d'éboulis à la base de leur puits d'entrée et il est très courant d'y trouver des ossements mélangés aux pierrailles. Il s'agit souvent de vestiges d'animaux d'élevage ou domestiques rejetés là au cours des siècles passés. Ces pratiques agricoles ont perduré jusque aux dernières décennies du 20ième siècle. Dans d'autres cas ces ossements sont ceux d'animaux sauvages tombés accidentellement ou rejetés dans le cadre des pratiques de chasse.
Dans le cas de la lésine de Fontenu nous avons immédiatement repéré :
- D'une part un amas de poils (40 à 50 cm de long) en putréfaction très avancée d'où émergeaient les os des pattes et un crâne de chat (10 cm). Seul le volume de la boite crânienne pourrait permettre de déterminer à coup sûr s'il s'agit d'un gros chat
domestique ou d'un chat forestier. - D'autre part un squelette dont la taille s'apparente à celui d'un chien de taille moyenne dont les ossements étaient partiellement mélangés au précédent.
Observations et interprétations
Parmi les ossements épars en 2 nous avons rapidement remarqué la partie frontale d'un crâne avec toute sa dentition ainsi que les deux hémi-mandibules comportant également toutes leurs dents. La taille et la forme des canines sont celles d'un carnassier et le profil du museau correspond à celui d'un félidé (profil et caractéristiques identiques à celui du chat décrit plus haut mais au moins 2 fois plus gros).
La liste des félins de grandes tailles implantés dans le Jura se réduit au seul lynx et nous en sommes rapidement arrivés à cette conclusion pour son identification. Quatre phalanges distales avec leurs griffes acérées viennent d'ailleurs conforter cette hypothèse.
Par la suite nous avons fouillé cette partie de l'éboulis à la recherche du reste du crâne. Malgré un examen minutieux à plusieurs nous n'avons pas pu localiser la moindre parcelle de voûte crânienne, le squelette est pourtant sensiblement en position anatomique. Cette dernière observation nous laisse penser que la partie manquante de la tête était absente quand la bête est arrivée là. De plus une observation détaillée montre que les cloisons osseuses internes du crâne sont fracassées et toutes sont désaxées de la droite vers la gauche, comme sous l'effet d'un choc violent directionnel.
La canine supérieure gauche est cassée nette mais il n'est guère possible de dire si c'est le fait de la chute ou si elle était déjà dans cet état du vivant de l'animal. Au cours d'une sortie spéléo dans ce gouffre le 6 mars 2018, les participants avaient déjà remarqué à cet endroit précis la présence d'une charogne en état de décomposition. Sans trop s'en approcher ils ont pensé qu'il s'agissait d'un blaireau. Avec le recul c'était probablement déjà le même animal.
Les quatre phalanges distales portent encore les étuis cornés qui forment les griffes. La kératine qui les compose se dégrade plus lentement que le reste des tissus organiques, leur présence peut donner une indication sur la durée et début de la putréfaction.
Annexes photographiques
Les suites
Suite à cette découverte qui s'apparente fortement à un acte de braconnage, le Conseil d'Administration du Comité Départemental de Spéléologie du Jura a été consulté. Il a été décidé d'un commun accord de faire remonter cette information aux services de l'état concernés.
Le rapport ci-dessus à donc été communiqué à l'Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage (ONCFS devenu Office Français de la Biodiversité depuis le 1er janvier 2020), à la Direction départementale des territoires (DDTEspaces et Patrimoine Naturel et au Parc du Haut-
Jura.
Dès le lendemain l'ONCFS prenait contact pour un complément d'informations et pour fixer les modalités d'une rencontre sur les lieux. Un rendez-vous est finalement pris pour le 27 novembre avec toutefois une requête supplémentaire : les deux agents enquêteurs formulent le souhait de descendre au fond du gouffre pour mener leur constat… C'est donc sous la surveillance de trois membres du club que la descente et la remontée ont pu se dérouler sans souci pour ces deux néophytes. Une bonne partie des os restants a été ramassée pour étude et un ratissage au détecteur de métaux a été effectué pour rechercher d'éventuels résidus de projectiles ; sans résultat…
L'ensemble des ossements préalablement prélevés ont été remis aux agents pour une détermination plus poussée et à titre d'éléments pour une éventuelle enquête.
Avant cela une étude a été menée par nos soins sur le crâne de chat. En appliquant une formule issue des travaux de Paul Shauenberg (longueur du crâne divisée par le volume de la boite crânienne), l'indice obtenu permet d'affirmer à 99% qu'il s'agit d'un chat sylvestre, espèce protégée comme le lynx.
Le mercredi 20 novembre le journal "Le Progrès" titrait en première page "Le cadavre d'un lynx retrouvé dans un gouffre ? ". Le même sujet était abordé le soir même aux infos régionales sur France 3 et sur des radios locales. Un fait divers médiatisé relatif au monde spéléo qui n'avait
pourtant pas été diffusé sur nos propres réseaux d'informations. Et pour cause… L'annonce devait rester discrète pour ne pas gêner une enquête en cours. Il semblerait que l'info ait "fuité" puis été diffusée volontairement et massivement vers les médias…
Fin janvier 2020 un cadavre de lynx est découvert abattu par balle dans les Vosges. L'affaire fait grand bruit dans les milieux associatifs liés à la protection de l'environnement. Un rapprochement est vite établi entre cette affaire vosgienne et les ossements de Fontenu. Le lynx, espèce rare considéré comme menacée, est régulièrement victime de braconniers.
Début février 2020 un collectif de sept associations écrivit au Procureur de la République du Jura pour avoir confirmation qu'une enquête a réellement été ouverte après la découverte de Fontenu. Une autre dépose plainte pour destruction illégale de faune protégée. Devant la pression des associations appuyée par les médias, le Procureur se voit contraint de relancer les investigations et d'ouvrir une enquête judiciaire.
Le 17 mars 2020 un nouveau lynx (femelle) est découvert abattu par balle à Ivrey dans le nord du département du Jura. Lancement d'une nouvelle enquête et levée de bouclier des associations. Une prime de 5000 € est levée pour dénoncer le ou les coupables.