BILAN 1954

 Un seul fait, mais combien éloquent, suffirait à illustrer notre bilan 54 : il n'a été possible qu'une seule fois, pendant la "belle" saison de franchir le bas fond du torrent des Foules. C'est dire si l'année a été peu favorable aux recherches souterraines, au moins dans les réseaux en activité. Cela ne nous a d'ailleurs pas empêché de faire une soixantaine de sorties et de passer plus de 250 heures sous terre.
Cette année, conjointement à la récolte des insectes cavernicoles, qui constitue l'occupation habituelle des périodes creuses, le Spéléo-Club a inauguré une nouvelle activité : Le baguage de chauves-souris, pour le compte du Centre d'Etude des Migrations du Muséum de Paris. Nous indiquerons ci-après le résultat de ces expériences dans notre secteur.
La recherche des chiroptères nous a amenés à visiter de nombreuses grottes déjà explorées, ce qui nous a donné l'occasion de faire des observations intéressantes et même de découvrir des "recoins" ignorés. Aux "Moulins" en particulier, nous avons pu vérifier de façon certaine nos hypothèses sur le fonctionnement du réseau. La chance a voulu que nous nous trouvions dans cette grotte au moment d'une crue passagère provoquée par la fonte des neiges du plateau. Le niveau du lac s'élevait peu à peu et entre midi et 16h30 le volume de la résurgence ordinaire avait doublé. A 17h, une seconde résurgence, située 12m plus haut, entrait en action, et à 18h, la grotte inférieure laissait à son tour passer une jolie cascade. Des traces non équivoques du passage de l'eau courante ont été relevées dans la grotte supérieure, à l'extrémité des premières salles ; ce qui prouve que les boyaux inférieurs peuvent devenir insuffisants pour évacuer l'eau des crues. Il est donc bien improbable, que ces mêmes passages puissent être un jour explorés par voie directe, même si nous trouvions le moyen de franchir les voûtes mouillantes qui nous ont arrêtés jusqu'à présent.
En même temps se sont poursuivis activement des travaux pour tenter de désobstruer la grosse résurgence sous l'entrée des Foules, et le fond du premier puits à 150 mètres sous terre. Cette seconde tâche a été couronnée de succès après le déblaiement d'une fissure colmatée par de l'argile, et nous pouvons maintenant aller observer le torrent en crue. C'est un spectacle formidable, qui paye bien des peines, que celui de cette eau profonde et silencieuse qui traverse les Grands Puits pour aller se perdre en tourbillonnant dans une vaste galerie plongeante.
Des sorties de prospection nous ont permis de visiter deux nouvelles grottes au Flumen et à la Riôte, de préparer l'exploration de résurgences à Jeurre et près de Molinges, ainsi que celle d'un gouffre près de Lavancia ; toutes cavités à attaquer dans de meilleures conditions atmosphériques.
Au cours d'autres excursions nous avons relevé en surface des données géologiques qui jettent une certaine lumière sur des communications souterraines déjà soupçonnées, et sur l'origine de plusieurs sources, fraîches, limpides… et à peu près sûrement contaminées !
Une sécheresse relative, tôt interrompue par les crues absolument exceptionnelles des 14 et 22 août, a été mise à profit pour de nouvelles attaques aux "Cernois", où nous avons pu terminer l'exploration d'une grosse résurgence et d'une petite grotte en pleine falaise, tandis que nous découvrions de  nouveaux prolongements à la "Borne au Coton". Cette dernière grotte que nous croyions classée l'an dernier, nous a réservé la surprise d'une galerie géante et vierge succédant à un réseau de fissures minuscules. Son développement atteint maintenant le kilomètre et "ça continue" !
Cet été également nous avons découvert, près d'Échallon, une galerie bizarre qui ne compte pas moins de 53 changements de direction sur une longueur de 276 mètres. Dans le cirque de Vaucluse, une grotte particulièrement belle, repérée depuis 1951, a été terminée en une seule exploration. Au Crêt de Chalam, un gouffre situé à 80 mètres du sommet, et dont nous connaissions l'existence, mais non l'emplacement, a pu être finalement découvert et visité jusqu'à l'habituel bouchon de pierres et de troncs d'arbres, qui obstrue en profondeur tous les puits trop étroits du Jura.
A fin octobre, toute l'équipe attaquait sur le sommet entre Ponthoux et Étables, une gigantesque fissure à ciel ouvert, longue de près de 200 mètres et comportant une verticale absolue de 78 mètres. Menées par relais successifs s'assurant mutuellement, la descente et la remontée aux échelles s'effectuèrent en un temps record de trois heures, sans le moindre incident. Le fond de cette fissure n'est qu'un enchevêtrement de blocs formant par endroits des petites salles aux parois instables. L'eau de pluie et de fonte des neiges, collectée par ce réservoir naturel, glisse jusqu'au niveau des marnes rouges et doit alimenter une résurgence captée dans une petite grotte près du Pont de Lizon.
Le 7 novembre suivant, profitant d'une belle arrière-saison, le Club a réussi dans la même journée l'exploration des gouffres de "La Combe à la Chèvre", du "Crêt Pela" et de "Belbouchet". Les deux premiers sont assez insignifiants. Quant au troisième, nous y avons trouvé, au bas d'une verticale de 30 mètres, un passage obstrué par les cadavres d'une génisse et d'un mouton. Ces charognes baignent dans l'eau courante dont une partie alimente un abreuvoir dans une pâture voisine. Sans commentaires !
Ce gouffre est situé très en bordure du bassin des Foules et sa géologie semble plutôt en faire un tributaire lointain des réseaux de Vaucluse et du Trou de l'Abîme, mais il est possible que l'écoulement reparaisse entièrement en surface dans les fontaines de la Blénière et de la Pelaisse. Il n'en serait que plus dangereux pour la salubrité publique, et son propriétaire l'a soigneusement entouré d'un quadruple rang de barbelés. Cette barrière suffisante pour éviter les accidents, semble inefficace contre les ensevelissements clandestins.
Autre nouvelle : dans une grotte d'accès ridiculement facile, et dont on nous excusera en conséquence de ne pas pour l'instant dévoiler l'identité, nous avons relevé des gravures pariétales datant certainement d'une époque très ancienne. Ces graffitis, dont nous reproduisons ci-dessous une partie, ont été communiqués pour étude à des archéologues spécialisés dans ce genre d'inscriptions. Plusieurs caractères runiques figurent dans ces gravures certainement magiques, et nous y verrions volontiers l'œuvre d'un sorcier burgonde ayant vécu aux premiers siècles de notre ère.