LE PÉTRIN DE LA FOUDRE

 Ce nom prestigieux désigne un gouffre qui s'ouvre à mi-distance de Choux et de Viry dans un escarpement dominant le cours du Longviry.
Ce nom est très ancien et la forêt qui entoure l'entrée du gouffre est désignée sur les plans et les cartes d'Etat Major "Bois sous Pétrin de la Foudre". Pour les habitants de Choux, c'est aujourd'hui le "Pétri".
D'où est venu cette dénomination aux résonances de mystère ou de cataclysme ? On pourrait donner là-dessus plusieurs explications, dont aucune d'ailleurs n'est peut-être la bonne.
Il est possible qu'il y a plusieurs siècles, le gouffre n'ait pas été asséché comme de nos jours. L'eau y coulait peut-être à gros bouillons et cascadait dans les couloirs et les puits. Il est probable que dans ce cas, le bruit des chutes d'eau s'entendait de l'entrée comme un roulement continu qui pouvait faire penser au grondement du tonnerre.
On pourrait dire aussi que les grosses pierres lancées dans la pente éveille des échos sonores et prolongés qui, eux aussi, peuvent être comparés au fracas de la foudre.
On pourrait avancer enfin une autre explication, basée sur la propriété qu'ont la majorité des grottes et gouffres d'attirer les coups de foudre.
Les cavités souterraines ont presque toutes été creusées par l'eau courante qui entraîne avec elle les alluvions d'un vaste secteur, et qui en dépose une grande partie dans les endroits où son cours se ralentit. Or les sols calcaires contiennent en quantité infinitésimale des sels de métaux radioactifs. La densité de ces sels étant considérable, ils se déposent les premiers, tandis que les matériaux plus légers continuent à être emportés par le courant, jusqu'aux résurgences, et il se forme ainsi, dans les endroits où le courant s'étale, des amas considérables d'argiles à teneur radioactive très supérieure à celle des sols environnants. Encore qu'il ne s'agisse que de simples traces, la présence de ces métaux suffit à ioniser l'air des cavernes et à le rendre un peu conducteur de l'électricité. Il s'élève de la sorte, des ouvertures des cavernes, une colonne d'air ionisé, qui va rejoindre, en temps d'orage, les nuages électrisés et qui peut être comparée à un paratonnerre naturel et géant, canalisant les décharges électriques.
Certaines cavités sont plus sujettes que d'autres à ce phénomène. C'est ainsi que les arbres foudroyés se comptent par dizaines autour du Puits des Célarys, entre Septmoncel et Haut-Crêt. Nous avons trouvé à l'entrée d'une petite grotte du Cirque de Vulvoz et devant la grotte des Foules de magnifiques "fulgurites", pierres vitrifiées par un coup de foudre.
Un autre fait a été souvent signalé et peut-être aujourd'hui tenu pour certain : il arrive que l'éclair, au lieu de descendre des nuées, jaillit du gouffre lui-même pour remonter vers le ciel.
Bien qu'aujourd'hui aucune trace de coups de foudre n'ait pu être relevée aux alentours immédiats du Pétrin, il est vraisemblable qu'il n'en a pas toujours été ainsi. A une époque encore récente où le réseau plus actif devait davantage attirer le feu du ciel, les voisins du gouffre n'ont certainement pas été sans remarquer la prédilection de la foudre pour son ouverture, et pour peu qu'une seule fois, ils aient été témoins du phénomène extraordinaire d'un éclair sortant de l'aven, cela aurait amplement suffi à lui faire attribuer son nom grandiose.
Le Pétrin de la Foudre a été signalé pour la première fois aux San-Claudiens en fin 1948. Ils en ont terminé l'exploration en 1949, mais ce gouffre est tellement beau, que c'est toujours avec plaisir que les anciens qui l'ont conquis, viennent le revoir, y amènent les jeunes générations et le font admirer aux spéléos d'autres équipes qui demandent à visiter le sous-sol jurassien.
C'est le 11 septembre 1948 que pour la première fois l'équipe du Spéléo Club arrive à l'entrée du gouffre. Il y a Marius Rouiller, Meynier, Secrétand, Combi et Jeannette Potard. Mais le matériel répond bien peu au nombre et à la bonne volonté des attaquants. Le Spéléo Club ne possède que des cordes et quelques pitons provenant de l'arsenal de montagne de "Mario". Cependant, comme le premier puits n'est pas entièrement vertical, cela paraît suffire. L'un après l'autre, tous les explorateurs descendent en rappel et l'équipe se rassemble 20 mètres plus bas dans une rotonde au sol très incliné et pierreux. A l'opposé du puits, une galerie plonge. Les spéléos la descendent prudemment et arrivent une trentaine de mètres plus loin à un élargissement du gouffre, une salle triangulaire au sol en pente, et dont l'issue profonde se perd dans l'obscurité. Il y a là un à-pic où Mario installe un second rappel. Cette fois, la descente est plus ardue, le mur est glissant, presque vertical et haut de dix mètres. Il y aura peu de prises pour la remontée, mais tant pis ! L'homme de pointe annonce plus bas de telles merveilles que toute l'équipe le suit.
C'est au bas de cet à-pic que s'ouvre la plus grande salle du gouffre, longue de plus de 60 mètres, haute de 30 mètres. Sur la gauche apparaît un diverticule ruisselant de calcite, et les San-Claudiens remarquent que ce qui les sépare de la grande salle, et qu'ils avaient pris de loin pour une muraille, est en réalité une énorme colonne stalagmitique, haute de plus de 20 mètres. Le sol est un glacis de rocailles, avec çà et là un tas d'os qui prouve que, comme tout gouffre du plateau, le Pétrin a régulièrement reçu sa ration de bêtes crevées.
A droite baille un puits où chante une cascade. Mario et Meynier s'y laissent glisser au bout d'un nouveau rappel, et n'y découvrent 10 mètres plus bas qu'une petite salle toute encombrée de gros blocs entre lesquels le ruisseau disparaît.
Puis l'équipe continue son exploration. A l'extrémité de la grande salle s'ouvrent deux grosses galeries ; l'une face à l'arrivée est presque plane et coupée de laisses d'eau claire. En la suivant, les spéléos arrivent à un balcon naturel dominant un cran de descente. La galerie s'élargit considérablement, la voûte s'élève, et voici, au bas d'un dôme stalagmitique, un lac noir et profond dans une énorme salle sphérique de près de 35 mètres de diamètre. Une cascade glissant d'une diaclase élevée tombe directement dans la nappe d'eau. Dans la paroi de gauche et au delà du lac, on entrevoit des ouvertures de galeries inaccessibles sans bateau.
En revenant vers la grande salle, les spéléos explorent une haute cheminée sans issue puis s'installent pour le casse croûte à l'entrée de la galerie du lac, dans un élargissement au sol très lisse qui devient la "Salle à manger".
Jeannette extériorise sa joie en exécutant une danse maison qui a pour principal résultat d'envoyer dans le décor une boîte de sardines ouvertes et posée à même le sol. La coupable a tôt fait de remettre tout en ordre : elle ramasse les sardines sur le tapis d'argile et les range soigneusement dans la boîte. Si, au cours du repas, quelques fragments de calcite craquent sous les dents, on feint de croire qu'il s'agit de cristaux de sel. Mais depuis ce jour-là, aucune équipe n'est passée au Pétrin sans évoquer la joyeuse histoire des sardines à la glaise.
Les spéléos passent ensuite à l'exploration de l'autre galerie à laquelle on accède par une petite escalade. C'est un gros couloir arrondi, haut et large de 5 à 6 mètres, qui présente en son centre une fissure longitudinale étroite, mais très profonde, une diaclase creusée dans le calcaire du sol par un cours d'eau qui s'est enfoncé peu à peu. Une belle stalagmite se dresse au bord de la fissure, et la voûte est remarquablement garnie de marmites d'érosion, et de toute une floraison de fragiles "macaronis".
Après 50 mètres de progression en ligne droite, l'équipe se trouve arrêtée par un nouvel à-pic qu'elle descend à la corde, et c'est la découverte la plus belle de toute la journée. La salle où les spéléos ont atterri n'est pas très vaste, mais toute la paroi, face à l'entrée, n'est qu'une cascade de calcite haute de plus de 25 mètres, d'où émergent çà et là des cierges stalagmitiques. Et voici, dans un angle, une petite nappe d'eau claire, dans une petite rotonde de stalagmites immaculées, où se dresse une colonne de calcite rougeâtre. Deux hommes auraient peine à l'embrasser, et son sommet touche la voûte. En regardant la muraille opposée, les spéléos y aperçoivent l'entrée inaccessible d'une galerie au seuil de laquelle une haute stalagmite semble monter la garde, et en cherchant la suite du gouffre, ils découvrent sous la draperie du fond une fissure où cascade l'eau du petit lac. Les pierres qu'ils y jettent tombent à une grande profondeur, mais l'entrée étroite et basse ne permet pas de passer. D'ailleurs, il n'y a plus de corde disponible et il faut songer au retour.
Ce n'est pas sans difficulté que le mur de 10 mètres de l'entrée de la grande salle peut être gravi au moyen de cordes glaiseuses et glissantes. C'est plus difficilement encore que Mario, qui grimpe en tête et sans soutien, réussit à remonter la pente du premier puits, qu'une averse a détrempée dans la soirée. Quand enfin l'équipe revoit le jour, l'Angélus du matin sonne au clocher de Choux. La nuit toute entière s'est passée, sans que personne n'y prenne garde.
Les spéléos se dirigent pour se laver et se sécher vers la ferme Michalet, dont l'hospitalité toujours aussi aimable, sera bien des fois encore par la suite mise à contribution.
L'hiver 1948-49 se passe sans que les San-Claudiens cessent de penser au Pétrin. Ils y pensent tellement que tous les soirs ou presque, Mario, Colin et Dédé se réunissent dans l'atelier d'un de leurs amis ferblantier, et construisent pièce par pièce, des échelles métalliques légères qui permettront de reprendre l'exploration au printemps.
Et c'est muni de 65 mètres de ces agrès, que le Spéléo-Club repart à l'assaut à la Pentecôte suivante. Une première descente, dans l'après-midi du dimanche, permet au spéléos de revoir les décors déjà connus et de faire les honneurs du gouffre à l'instituteur de Viry et à deux habitants de Choux qui se sont joints à l'équipe. L'un d'eux ne s'est décidé qu'au dernier moment et, s'il a pu emprunter une veste de treillis, il arpente les fondrières et glisse sur les coulées d'argile en pantalon rayé et souliers vernis. Seul un célibataire peut se permettre de pareilles audaces !
Le lendemain, l'équipe qui comprend cette fois Mario, Dédé, Colin, Jean et Thérèse Meynier, passe au travail sérieux, et dès le matin, se rassemble dans la salle terminale. Quelques coups de masse suffisent à élargir l'ouverture du puits ; on y déroule une échelle de 25 mètres et Mario commence à descendre. Ce sera pénible : un petit cours d'eau cascade dans le gouffre, et tombe sur les épaules du spéléo mal protégé par de vieux habits de toile. Ses manches servent de déversoir à un autre suintement qui emprunte les câbles de l'échelle, et comme si ce n'était pas encore suffisant, la corde d'assurance lui amène au niveau des reins un troisième ruisselet qui descend jusque dans ses souliers.
Aussi Mario ne s'attarde pas à contempler les magnifiques décors du puits cylindrique où son échelle pend dans le vide. Ce n'est qu'à la descente suivante qu'on s'avisera qu'il est tapissé de choux fleurs de calcite blanche et de tout un assortiment de stalactites excentriques.
Complètement frigorifié, l'homme de pointe touche le fond 22 mètres plus bas, constate rapidement que le puits se continue par une voûte basse, remonte aussitôt et ne se fait pas prier pour accepter un grog bouillant et les habits secs dont chacun peut disposer. Mais comme personne n'a pu lui offrir de pantalon, il se réchauffe le postérieur comme il peut, en s'installant les jambes écartées au-dessus du réchaud à essence allumé.
A la foire suivante, le Club fera l'acquisition d'une combinaison étanche qui, d'ailleurs par un heureux hasard, se révélera parfaitement inutile pour la conquête du Pétrin, car le fameux été sec 1949 va, là aussi, exercer son action.
Le 11 septembre de la même année, un an jour pour jour après la première exploration , les San-Claudiens se trouvent à nouveau au seuil du gouffre. Un camarade lédonien, Chaneaux, se trouve là également. Cette fois, le matériel s'est encore perfectionné. On dispose de deux échelles de 25 mètres, trois de 12 mètres et une de 6, un bateau pneumatique, sans compter les cordes en suffisance. Le tout représente un poids de 150 kilos environ, dont chacun prend sa part. Colin et Meynier descendent en dernier, encadrant un apprenti spéléo de 12 ans, dont c'est la première exploration. Hurlant de terreur à la descente du second puits, le "moufflet" doit être remonté en surface.
Comme Colin s'est par hasard chargé du bateau, il se hâte vers le lac où l'équipe doit l'attendre et laisse à Meynier le soin d'escorter le gamin.
Un curieux spectacle l'attend. L'eau a complètement disparu, pompée par la sécheresse. Des lampes brillent jusqu'au fond de l'immense salle, tandis qu'une voix féminine demande avec insistance : "Mais enfin, où est-il votre lac ?".
Le bateau est devenu inutile et les spéléos peuvent gagner à pied sec l'entrée des galeries entrevues un an plus tôt. L'exploration en sera d'ailleurs vite terminée. L'une, à gauche, est une ancienne amenée d'eau qui finit en un laminoir large et bas ; l'autre, au fond, se termine par un puits à demi plein d'eau, dont les parois sont capitonnées d'une énorme couche de glaise rouge.
Pour finir la matinée, Mario s'offre une escalade dans la paroi d'où coule la cascade et n'y découvre qu'un orifice de petite taille.
L'exploration de la "Salle du Lac" est faite beaucoup plus vite qu'on aurait pu l'espérer, grâce à l'absence du "lac". Après un casse-croûte pris comme il se doit à la "Salle à Manger", toute l'équipe reflue dans la salle terminale.
Là aussi, la sécheresse s'est exercée aux dépens de la cascade qui se réduit à un suintement presque insignifiant. Mario, Meynier, Colin, Dédé, Chaneaux descendent dans le puits qui se poursuit par un laminoir assez étroit. Or, on a tout prévu, sauf une broche pour élargir le passage, et force est encore une fois de remonter sans avoir découvert les derniers secrets du Pétrin de la Foudre.
Aussi bien au passage de la diaclase, les spéléos jettent un coup d'œil dans une cheminée, au-dessus de la belle stalagmite que Dédé, les yeux encore pleins des splendeurs de l'Extrême-Orient, a baptisé "Le Boudha Cambodgien". Cette cheminée et bien d'autres passages sont encore à voir d'un peu plus près, et l'équipe qui fera la prochaine exploration ne manquera pas de travail.
Sur ces entrefaites, des camarades du G.S.J. de Lons –le-Saunier et du S.C. Genève, qui ont eu des échos de l'existence du gouffre, demandent à le visiter. Le 16 octobre, sept hommes descendent dans les profondeurs. Il y a Marius Rouiller et Colin de St-Claude, Chaneaux et Cazals de Lons, Renaud, Ricard et Keller de Genève ; tous explorateurs entraînés et bien au courant des techniques souterraines.
En moins d'une heure, tous sont déjà dans la grande salle et Ricard s'est même offert le luxe de descendre les échelles à la force des bras, les pieds au mur, cependant que Keller, toujours en queue, portant le plus gros sac et la plus grosse lampe, n'a pas cessé de dévider son stock inépuisable d'histoires, tout en fumant son éternelle bouffarde. Nul ne se souvient d'avoir vu Keller sans son minuscule brûle-gueule de terre. On l'a même vu un jour, à la sortie de la grotte de Menouille, plonger dans l'Ain pour se nettoyer, tout habillé, souliers au pied et la pipe allumée entre les dents.
Pour le moment, son accent vaudois, calme et traînant, fait curieusement écho aux sonorités marseillaises du langage de Cazals, et on ne s'ennuie pas dans le Pétrin, tout en acheminant quelque deux cents kilos de matériel.
Après une visite au lac toujours à sec, on gagne la salle terminale et le travail est vite réparti. Aux invités d'indiquer leurs préférences. Ricard et les Lédoniens choisissent la profondeur. Les San-Claudiens avec Keller s'attaquent donc aux cheminées. Renaud restera dans la salle pour assurer la liaison avec l'équipe du fond, ce qui lui permettra en même temps de prendre des photos tout à loisir.
Ce plan s'exécute aussitôt. Un quart d'heure plus tard, les coups de marteau résonnent au fond du puits, à un rythme régulier. L'autre équipe dresse dans la diaclase une perche portant une échelle qui va permettre à Mario de gagner les mystérieuses cheminées. De temps à autre la détonation d'une charge de magnésium prouve que Renaud enrichit sa collection. "L'usine tourne rond".
Mario, assuré par les deux autres, s'élève dans la verticale jusqu'au sommet du mât ; puis continue à varapper dans une roche assez solide pour se trouver enfin à plus de 30m de haut, à l'entrée d'un boyau qui va en se rétrécissant après avoir joint le sommet des cheminées. Les chauve-souris utilisent ce passage et y ont même laissé des tas de guano. Mais la carrure d'un spéléo est d'autre mesure, et Mario refait en sens inverse son périlleux parcours.
Quand il a touché terre, les trois hommes s'avisent que le gouffre est bien silencieux. Les bruits de coups de marteau ont cessé au fond et Colin questionne Renaud : "Quoi de neuf en bas ?", "ils ont dû passer", "Et après ? ", "Je ne sais pas ; je ne comprends pas ce qu'ils disent ! ". La voix porte très mal dans le puits et l'accent de Cazals n'arrange pas les choses.
Mais tout va bien en bas. L'équipe de fond a pu forcer le passage étroit et a découvert un nouveau puits où Ricard est descendu à l'échelle pour trouver 15 mètres plus bas une nappe d'eau. Le gouffre se poursuit à la verticale sur une profondeur inappréciable, et le niveau de l'eau se situe à –111 mètres par rapport à l'entrée.
Renaud qui a apporté un altimètre de montagne, le consulte et se déclare en désaccord avec les chiffres dûs au calcul mathématique des San-Claudiens quant au niveau de la salle terminale. Mais cet altimètre procure un moment de gaieté quand l'équipe regagne la surface.
Colin qui a pris dans sa musette l'appareil réglé à 0 avant la descente, le consulte à son tour, fait mine de chercher quelque chose en l'air, et interpelle Renaud : "Mon vieux, je cherche la suite du puits. Ton engin prouve que je suis à –30 ; donc il reste 30 mètres à monter ; à moins que le gouffre se soit approfondi depuis ce matin !". Renaud répond que son altimètre est un outil de précision et qu'il a été déréglé volontairement, pour faire une farce. Tous deux s'obstineraient peut-être encore à soutenir chacun son point de vue si, à la ferme Michalet, on n'apprenait que le baromètre est descendu dans la journée de "beau temps" à "pluie ou vent". L'altimètre a fait comme lui ; et vers dix heures du soir une violente tempête de fœhn qui se déchaîne, va donner à la fois raison aux deux appareils et aux deux hommes.
Après s'être un peu nettoyée, l'équipe regagne Choux. Si la super-traction helvétique gravit allègrement le chemin défoncé, il faut atteler une paire de bœufs en flèche devant les 5CV de la Citroën lédonienne, pour arriver au même résultat. Les San-Claudiens, eux n'ont pas d'ennuis mécaniques. Ils vont à pied, sac au dos, et arrivent bons premiers, par les raccourcis, au village où les attend la vieille moto que Colin a prudemment refusé d'engager dans le chemin trop essoufflant pour les personnes et les machines cardiaques.
C'est une joyeuse tablée qui s'installe au Café Burdeyron pour y liquider les dernières provisions achetées par les Suisses et taxables à la douane. Ce qui donne l'occasion à Keller, toujours aussi en verve, en tirant toujours autant sur son brûle-gueule, de faire un cours sur les sages mesures prises par le Gouvernement Fédéral pour protéger la production d'une banane fédérale, faite paraît-il d'une enveloppe inusable en nylon qu'on remplit indéfiniment de gelée d'abricots… fédérale.
Entre temps, on refait, dix fois peut-être, à l'intention des habitants du pays, le récit des hauts faits de la journée et la description du gouffre. Ce n'est qu'à une heure avancée que les spéléos reprennent chacun leur route, après une dissertation à perte de vue sur des gouffres géants, des grottes immenses et de mystérieuses rivières de la nuit.