BILAN 1953
Le gel rigoureux de janvier ayant asséché les cavernes, l'année spéléologique a pu commencer très tôt par une série de visites à la grotte des Foules. Nous avons pu y faire plusieurs constatations intéressantes, entre autres la permanence du volume de l'eau en temps de sécheresse hivernale et le renversement du sens du courant d'air. Ce dernier phénomène prouve que le torrent n'est pas le seul responsable des perturbations de l'atmosphère et qu'il existe sûrement dans la zone inexplorée des cheminées ou des fissures rejoignant la surface du plateau ; il reste à les découvrir !
Au cours de ces mêmes explorations nous avons pu capturer dans l'eau du petit torrent un ver planaire, que monsieur de Beauchamp, professeur au Muséum de Paris a identifié comme étant le "Dendrocellum Infernale". La présence aux Foules de cette planaire rarissime, signalée seulement dans les grottes du Jura neufchâtelois et bâlois constitue un argument de poids à l'appui de la thèse que nous avons exposée dans notre dernier Echo, sur l'origine dans le Haut-Doubs d'une partie de l'eau des Foules.
Une autre constatation assez inquiétante pour l'avenir avait pu être faite : le comblement lent mais continu de l'entrée de la grotte par des pierres détachées des parois du cirque, venant échouer sous le porche au terme de leur trajectoire.
Aussi la période pluvieuse du "drôle de printemps" a-t-elle été mise à profit pour remédier à cet état de choses. Les spéléos devenus terrassiers une fois de plus, ont fait basculer dans la nature les énormes blocs qui retenaient l'égravine indésirable et notre ami Dédé, entre autres, a perdu une partie de son embonpoint en manoeuvrant énergiquement et obstinément le "crayon", autrement dit un levier long de 3 mètres et pesant dans les 35 kilos. Sans être tout à fait écarté, le danger de comblement de l'entrée est maintenant repoussé à une échéance très lointaine. A la Pentecôte 1953, le Président et quatre membres actifs du S.C.S.C., ont participé au Congrès de l'Association Spéléologique de l'Est, à la grotte des Planches d'Arbois, et le Club s'est vu confier la partie biologique des travaux du congrès. Tout en récoltant un nombre appréciable d'insectes cavernicoles, les San-Claudiens ont eu la bonne fortune de découvrir des outils et armes de silex, et des débris de poteries datant des premiers temps du Néolithique. Jusqu'à présent, seul l'âge du Bronze avait été signalé dans cette grotte, et notre découverte prouve qu'elle était déjà habitée quelque 10000 ans plus tôt. Ce sera l'oeuvre d'archéologues professionnels d'exploiter cette trouvaille.
Le Club s'est attaqué ensuite à l'important réseau des Cernois entre Choux et Viry, qui résistait depuis 1948 aux tentatives de pénétrations. Après un long travail d'installation d'un pont sur une nappe d'eau et d'échelles dans des cheminées, il a été enfin possible de terminer l'exploration de la grotte la plus importante et de découvrir, en même temps que 700 mètres de galerie aux décors de rêve, un énorme réservoir naturel d'eau remarquablement pure dont la commune de Choux pourra facilement disposer.
Une autre grotte du même réseau, explorée sur une distance de 300 mètres environ, en grande partie par les moins de 15 ans qui pouvaient seuls parcourir certaines ramifications minuscules, est encore loin d'être terminée. Elle recèle également d'importantes réserves d'eau.
Puis nous sommes retournés à deux reprises au Pétrin de la Foudre pour en faire les honneurs aux nouveaux membres du Club qui n'avaient pas participé aux mémorables descentes de 1948 et 1949. Le splendide gouffre dont nous croyions avoir dénombré les curiosités nous a réservé la surprise de décors ignorés et nous avons encore pu palper de la roche vierge dans des diaclases d'où depuis notre dernière visite l'eau s'est retirée.
Entre temps nous avons pu faire dans le gouffre du Montelet une descente prévue depuis 1950 et visiter deux autre gouffres dans le massif des Couloirs. Tous trois sont de beaux à-pics exempts de bêtes crevées, mais sans prolongements intéressants. Un autre gouffre, qui s'est ouvert récemment, mais se trouve déjà obstrué en surface nous a été signalé entre les Couloirs et La Pesse. Ce serait un puits à étages, d'une grande profondeur. Sa situation semble le rattacher au réseau hydrographique de la grotte de la Balme, dont l'eau est captée par la commune des Bouchoux. Il est fort possible que nous en tentions un jour la désobstruction qui ne paraît pas présenter, à première vue, des difficultés insurmontables.
La sécheresse de septembre a permis ensuite le transport aux Foules et l'installation d'un important matériel : d'abord, un mât de 12 mètres, qui entreposé au Point 28 à 1200 mètres de l'entrée, permettra à la prochaine occasion l'accès à de mystérieuse galeries hautes et de cheminées qui pourraient donner accès à un réseau supérieur ; ensuite une échelle fixe, venue à temps pour remplacer dans les Grands Puits la vieille échelle de fil de fer qui rendait l'âme après des années de loyaux services. Cet engin démonté en huit éléments pesant au total dans les 150 kilos a été véhiculé sur une charrette à bras de l'Ile à la Grange des Foules puis porté à dos jusqu'à l'entrée de la grotte par une équipe de quatre hommes et deux gamins.
En mettant les choses au mieux, on avait compté que les éléments pourraient être mis en dépôt dans la première salle avant la nuit. Mais, il faut croire qu'il y a des ressources chez les plus de 35 comme chez les moins de 15 ans , puisqu'à 6 heures du soir, l'échelle était en place dans les Puits remontée, et il ne restait plus qu'à faire les scellements.
Un mois plus tard, entre deux crues, deux hommes remontaient à la grotte avec un sac de 25 kilos de ciment et terminaient le travail.
Puis le beau temps persistant, le Club a pu mener à la Grotte des Moulins et au Pétrin de la Foudre, des dirigeants de l'E.S.S.I., qui voulaient en étudier les possibilités d'aménagement et d'ouverture au tourisme. Aux Moulins les spéléos ont profité de l'occasion pour réaliser une progression importante dans des galeries secondaires encore inexplorées.
Quinze jours plus tard, nous capturions dans cette même grotte douze chauves-souris baguées, les unes en France, d'autres en Suisse. Nous avons publié les numéros des bagues, nous n'avons encore aucune indication sur le lieu des expériences, dont les auteurs ne se sont pas encore fait connaître.
L'automne exceptionnellement beau a été mis à profit pour travailler, une fois de plus, à l'aménagement des passages difficiles dans les Foules, où, fait remarquable, le niveau du torrent s'est maintenu rigoureusement constant de septembre à fin décembre.
Le Haut-Jura contient, semble-t-il, dans ses profondeurs, des réserves d'eau inépuisables, puisqu'une tentative de pénétration dans l'énorme résurgence de Brive, près de Lizon, le 13 décembre a été arrêtée par un niveau d'eau supérieur de près de 2 mètres à l'étiage de 1949. Aux Foules, la faible pluie des 17 et 18 décembre a suffi pour élever de 20 mètres le niveau du torrent, interdisant le passage.
C'est sur cette note encourageante que nous terminons notre bilan 1953.
Nos projets pour 1954 sont nombreux, mais leur réalisation dépend de tant de contingences, que nous pensons inutile de les exposer. Cependant, il en est un qui sera sûrement réalisé : le repérage, l'exploration et le signalement à la Municipalité des gouffres et fissures jalonnant le cours souterrain du torrent qui alimente en eau "potable" la ville de Saint-Claude. Ce travail est d'ailleurs déjà très avancé. Dans le rapport qu'il a établi sur l'eau des Foules, rapport qui, à notre grande satisfaction reprend la majorité des conclusions du Spéléo-Club, Monsieur le Professeur Glangeau insiste particulièrement sur la nécessité de clôturer les entrées de ces cavités, et les Spéléos qui en ont visité quelques unes sont le mieux placés pour comprendre les motifs de cette mesure.